Ambrogio Beccaria 

Ambrogio Beccaria : “Je n’avais fait que deux empannages en solitaire avant de partir !”

A peine deux mois après sa première navigation sur son nouveau Class40, Ambrogio Beccaria a terminé deuxième de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Depuis la Colombie, où il prend quelques jours de repos, le skipper italien d’Allagrande Pirelli a répondu aux questions de Tip & Shaft.

► Peux-tu nous raconter comment tu as monté ton projet de Class40 ?
Ça part de très loin ! On s’est connus avec l’architecte Gianluca Guelfi pendant la Mini Transat 2017, on s’était alors dit que ça serait génial qu’il me dessine un jour un bateau, mais c’était plus sur le mode de la blague. Deux ans plus tard, j’ai gagné beaucoup en expérience et en confiance en remportant la Mini Transat 2019 (en série), ce qui m’a donné envie de faire mon Class40 idéal. Gianluca avait des idées et des moyens qui m’intéressaient beaucoup, parce qu’il avait développé des logiciels de simulation en hydrodynamique et aérodynamique qui permettaient notamment de bien reproduire le comportement du bateau dans les vagues. Quand on a lancé le dessin, on n’avait pas encore de sponsor, c’était un grand pari, mais quand Pirelli est arrivé en décembre de l’année dernière, on avait cette avance d’avoir déjà un concept bien abouti. S’il avait fallu faire les calculs à ce moment, ça aurait été trop tard pour avoir le bateau pour la Route du Rhum, quand on sait qu’on n’a vraiment commencé à naviguer que début septembre à Gênes ! Le chantier, aussi, a été un grand pari car il était tout nouveau, lancé par Edoardo Bianchi, un des anciens project managers de Luna Rossa chez Persico. On a été le premier bateau construit par son chantier, mais j’avais confiance en Edoardo, je savais que c’était pour lui une carte de visite et qu’il allait s’appliquer. Au final, ça a été le cas, parce que le bateau est sorti super léger, je pensais même qu’on n’avait pas assez de structure, mais au final, il n’a eu aucun souci pendant la Route du Rhum alors que j’ai quand même bien tiré dessus.

► Comment as-tu trouvé ton partenaire, Pirelli, un géant en Italie ?
Pirelli a toujours été à part pour moi, car c’était le sponsor de l’Inter Milan, dont je suis supporter, depuis l’époque de Ronaldo ! Quand j’ai eu le contact avec eux, je me sentais trop petit, mais ils ont tout de suite été très chauds pour m’accompagner, ils avaient adoré leur sponsoring avec Luna Rossa sur la Coupe de l’America.

► Pour combien de temps t’accompagnent-ils et quel est le budget de ton projet ?
Jusqu’à mi-2024, le budget est de l’ordre de 400 000 euros par an, ce qui n’est pas énorme.

“Yoann était intouchable”

 

► Quels choix architecturaux avez-vous faits ?
On est partis de la base du Max 40 de David Raison, un bateau capable d’aller vite dans du vent et dans de la mer, tout en améliorant ses points faibles. Donc on a voulu un Class40 qui cabre au max, avec une étrave bien spatulée et haute pour bien passer les vagues, tout en essayant d’avoir un bateau bien équilibré à la barre, avec moins de traînée dans le temps médium. Par rapport au Max 40, le centre de carène est davantage reculé, on a été contre la tendance de la flotte sur les ballasts, c’est-à-dire que tout le monde les met à l’arrière là où nous, on a voulu optimiser le redressement en les mettant vers l’extérieur. On a aussi fait un plan de voilure différent, très reculé, plus typé brise, une petite inversion sur le bouchain, très droit, qui nous permet d’aller très vite au reaching, et on a mis un bout-dehors orientable qui me permet d’être beaucoup plus à l’aise que les autres bateaux quand je l’utilise, que ce soit dans le petit ou gros temps. La chose sympa, c’est que dans les deux mois précédant le départ, on n’a pas passé une seule seconde à optimiser la vitesse du bateau, il a été rapide d’entrée, on s’est uniquement concentrés sur la fiabilité. Ce qui me fait dire que le bateau a un potentiel énorme, on ne l’a pas encore optimisé pour la jauge, on peut gagner beaucoup de volume dans le bulbe pour en mettre davantage dans le voile de quille, je n’ai pas encore touché aux voiles, j’ai des réglages qui ne marchent pas bien…

► Quel était ton objectif sur la Route du Rhum ? Et t’es-tu dit à un moment que tu pouvais jouer la gagne ?
Quand on me posait la question avant le départ, je disais que je venais pour gagner, même si je savais que mes chances étaient minuscules. Et au fond de moi, je me disais qu’un top 5 serait très bien, parce que j’avais quand même un peu de déficit. Notamment le fait que j’avais très peu manœuvré sur le bateau. Au début, ce n’était pas très compliqué, avec le J1 ou le J2 au près, mais quand il a fallu changer les voiles au portant, je n’étais pas du tout à l’aise, je n’avais fait que deux empannages en solitaire avant de partir ! Si bien que sur mon premier jibe, j’ai fait une énorme cocotte dans l’étai, chaque manœuvre que je faisais était un désastre. J’ai même appelé Simon (Koster) qui était à côté de moi pour lui demander comment il fallait empanner ! En plus, j’ai été rapidement privé d’aérien, je changeais donc mes voiles au feeling, je me sentais vulnérable. Ce n’est qu’à la fin que j’ai réussi à aller plus vite que Corentin (Douguet) parce que j’ai compris que mon bateau pouvait encaisser un grand spi, là où les autres étaient sous petit spi ou médium. Maintenant, Yoann (Richomme) était intouchable. Le fait d’avoir déjà couru et gagné la Route du Rhum lui donnait un niveau de confiance, de connaissance du parcours, auquel je ne pouvais pas prétendre. Il m’aurait fallu plus de temps pour jouer à ce niveau.

 

“Pourquoi pas le Vendée Globe en 2028 ?”

 

► Quelle est la suite pour toi ?
L’objectif est de faire beaucoup de courses en 2023, donc normalement, on va courir la Rorc Caribbean 600, le Défi Atlantique, la Normandy Channel Race, les Sables-Les Açores, le Fastnet et la Jacques Vabre.

► Et vois-tu plus loin, comme un Vendée Globe ?
Pour l’instant, je n’ai pas eu le temps de rêver à plus grand que ce que j’ai aujourd’hui, c’était déjà énorme de réussir à mettre ce bateau à l’eau pour la Route du Rhum. Maintenant, je me dis qu’on a gagné en expérience, avec une petite équipe qui monte doucement, donc oui, un jour, je rêve de faire le Vendée Globe, pourquoi pas en 2028 ? Après, je n’en ai jamais discuté avec mon partenaire, je ne sais pas s’il faudrait que ce soit avec des foils ou non…

► Y a-t-il des passerelles entre ton projet et Luna Rossa, vu que vous avez le même sponsor ?
Max Sirena (skipper du défi italien) a toujours été très ouvert et sympa avec moi, il m’avait déjà invité à venir voir l’équipe avant même que Pirelli ne me rejoigne. Maintenant, les projets sont tellement différents que ce n’est pas d’actualité, mais peut-être que si je dois faire un jour un Imoca avec des foils, ça pourrait être hyper intéressant de se rapprocher d’eux, compte tenu de l’énorme expérience qu’ils ont dans ce domaine.

Photo : Vincent Olivaud / RDR 2022

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