Le nouveau Class40 de Keni Piperol

Lalou Roucayrol : “A mon âge, le Class40 me paraît plus raisonnable”

Lalou Multi a mis à l’eau jeudi dernier Captain Alternance, le nouveau Class40 “100% recyclable” de Keni Piperol. L’occasion de s’entretenir avec le patron du chantier et de l’écurie de course au large, Lalou Roucayrol, qui, en novembre lors de la Jacques Vabre, a disputé sa dernière transat en Ocean Fifty.

 

► Avant de parler du Class40, revenons sur la Transat Jacques Vabre, quel bilan en avez-vous fait avec Quentin Vlamynck (7e et dernière place en Ocean Fifty) ?
Très mitigé. On avait tout misé sur du reaching fond de balle et une ou deux dépressions en sortie de golfe de Gascogne, au final, on n’a eu que de la pétole molle avec un bateau qui n’avait pas été préparé pour ces conditions. On avait mis six degrés de quête dans le mât, on avait tous nos poids plombés à l’arrière, du coup on a eu du mal à trouver la vitesse. Le résultat n’a pas correspondu au potentiel du bateau qu’on avait vu toute la saison, on a pris une bonne leçon.

► Vous vous êtes trompés ?
Oui, sur les conditions qu’on attendait. La leçon c’est qu’aujourd’hui, au mois de novembre, on ne part plus forcément dans la baston, on peut se retrouver dans la pétole et ne pas avoir de vent sur tout l’Atlantique. En une quarantaine de transats, je n’ai jamais eu de telles conditions. Donc typer le bateau n’est plus forcément la bonne option. Je pense que pour la suite, on va augmenter les ballasts à l’arrière pour avoir plutôt du poids mobile que du poids fixe. Les Ocean Fifty sont des bateaux extrêmement sensibles au poids, il vaut mieux centrer les masses que miser sur des choix extrêmes et se retrouver collés.

► A l’arrivée en Martinique, tu as annoncé que c’était ta dernière transat en multicoque, pourquoi ?
J’ai en effet dit que j’arrêtais de faire des transats sur des multis aussi engagés que peuvent l’être les Ocean Fifty – ou auparavant les Orma. Je me suis régalé sur ces bateaux, mais j’ai 57 ans, je pense tout simplement que je suis arrivé au bout de l’histoire.

 

“Le chaînon manquant
était le Class40”

 

► Que garderas-tu de ces années multicoques et quels bateaux as-tu préférés ?
L’accélération, la vitesse, l’adrénaline, toute la dinguerie de ces bateaux qui sont extraordinaires ! Après ma Mini Transat en 1985, j’ai eu la chance d’embarquer tout de suite à bord d’un cata de 60 pieds, Lejaby Rasurel ; j’avais 21 ans, je suis tombé dedans direct et j’y suis resté plus de 30 ans. Si je devais citer des bateaux, je dirais le prao avec lequel j’ai fait La Baule-Dakar en 1991 et Noir Désir, (actuel Les Ptits Doudous), très beau esthétiquement et dans lequel j’ai mis beaucoup d’affect.

► Pendant tout ce temps, tu n’as navigué que sur plusieurs coques ?
Quasiment. J’ai eu une très belle opportunité, que j’ai saisie, en monocoque lors de New York San-Francisco avec Yves Parlier sur Aquitaine Innovations (1997-1998), il y avait aussi Thomas Coville et Hervé Jan, on a gagné la course et battu le record. Le bateau était une belle machine, mais je me suis demandé ce que je faisais là, je n’ai pas pris mon pied à barrer, il n’y avait pas de finesse, j’ai trouvé ça lourd, sans frissons. J’ai toujours été plus à l’aise sur un multi et j’ai eu la chance de pouvoir en faire toute ma carrière. Et ce n’est pas complètement fini, car je vais continuer à courir avec Quentin sur des Grands Prix.

► Parlons du Class40 de Keni que vous avez mis à l’eau jeudi, peux-tu nous raconter la genèse du projet ?
Aujourd’hui, nous avons un Mini et un Ocean Fifty, le chaînon manquant était le Class40, sachant qu’on n’a pas les moyens d’aller en Imoca ou en Ultim. On a recruté Keni il y a trois ans avec l’ambition de lui faire courir la Route du Rhum 2022 sur un bateau neuf. Comme je connais bien Marc Lombard, avec lequel j’avais déjà travaillé – Lejaby-Razurel était un plan Lombard, Banque Populaire 2 et 3 aussi – on s’est tournés vers son cabinet pour utiliser les moules du dernier Class40, Crosscall. Après, il fallait trouver les moyens de lancer concrètement le projet. Au départ, on ne voulait pas vendre Noir Désir, on l’a finalement fait pour construire ce Class40.

 

“C’est génial de réapprendre
à naviguer à 57 balais !”

 

► L’ambition était de faire un bateau “propre”, vous dites qu’il est entièrement recyclable, peux-tu nous expliquer ?
Sur Arkema 4, qui nous a un peu servi de démonstrateur, tout comme notre Mini Arkema 3, nous avions fait le roof entièrement en Elium, une résine thermosplastique recyclable, co-développée avec Arkema, mais également en mousse PET [elle aussi thermosplastique et recyclable, NDLR]. Derrière, nous avons fait une campagne de 5 mois de R&D sur les sandwiches Elium-PET et on s’est lancés un peu la fleur au fusil. Le moule de coque a été construit chez SMM à Lorient, celui du pont chez nous, c’est la première fois qu’on infusait une pièce aussi importante en Elium. Et tous les consommables utilisés ont été mis dans une benne spéciale pour être recyclés, c’est donc le premier et seul bateau de course au monde à être 100% recyclable avec ce type de matériaux, mousse PET et Elium. On a pris ce risque avec Keni de montrer que c’était possible de construire des bateaux de course au large respectueux d’une certaine éthique.

► Pourquoi parles-tu de risque ?
Parce que, autant avec la résine, on est rassurés car on s’en sert depuis 2014, autant avec la mousse PET, on a une vraie inconnue, on ne sait pas comment elle va travailler, quel va être son niveau de performance. Ce qui est très encourageant c’est qu’on n’est pas plus lourd que Crosscall, on devrait donc être très proches en termes de performances. Maintenant, il faut voir comment le composite réagit, ce qu’on va s’attacher à faire en naviguant ces prochains mois.

► Avez-vous d’autres commandes pour ce Class40 ?
Oui, on a lancé la construction d’un deuxième bateau en vue de la Route du Rhum, mais cette fois en époxy pour un propriétaire dont je ne peux pas te dévoiler le nom. On en a un troisième très possible pour 2023 pour Edgard Vincens, en Elium, et j’espère en faire un quatrième pour moi pour courir The Race Around, une course dans laquelle je crois beaucoup.

► Tu restes donc bien coureur ?
Oui sur un support qui me semble beaucoup plus raisonnable. Je vais devoir réapprendre à naviguer, parce que tu n’as pas le même vent apparent sur un Class40 que sur un multi, mais c’est aussi ce qui m’intéresse dans ce challenge, c’est génial de réapprendre à naviguer à 57 balais !

 

Photo : Vincent Olivaud/Walt

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