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Alexia Barrier :”Je suis le petit Poucet de l’Imoca”

A 39 ans, Alexia Barrier compte à son actif une multitude de navigations, du Mini à l’Imoca en passant par le Class40, le Figaro, le circuit classique ou les superyachts. Aujourd’hui, c’est vers le Vendée Globe 2020qu’elle est tournée avec un budget réduit et sur un bateau 4myplanet qui est le plus ancien de la flotte – Le Pingouin, plan Lombard de 1998 construit pour Catherine Chabaud. La Méditerranéenne évoque pour Tip & Shaft son parcours et ce projet.

Peux-tu nous raconter ton parcours ?
Je suis née à Paris, mes parents ont déménagé à Nice quand j’avais trois ans et ont acheté un petit voilier de six mètres sur lesquels j’ai tiré mes premiers bords. Je n’ai pas voulu aller en école de voile, parce que je préférais naviguer avec mes parents, j’ai commencé par des régates corpo en habitable avec mon père. Je me suis finalement mise au Laser à 15 ans, mais comme mon gabarit n’était pas très adapté à ce support, j’ai fait du match-racing au CREPS d’Antibes avec un équipage barré par Marie Fauré, j’étais n°1. Par la suite, les filles ayant toutes des ambitions professionnelles et familiales, je me suis dit que si je n’arrivais pas à mener un projet en équipage, autant le faire en solo et j’ai donc monté un projet Mini en 2005 à la fin de mes études de management du sport. J’ai trouvé mon premier sponsor, Roxy, sous les couleurs duquel j’ai couru trois ans, en Mini, puis en Figaro avec Sam, et en 60 pieds avec Anne Liardet et Sam.

La voile de compétition était-elle une vocation pour toi ?
Quand j’avais 12 ans, comme j’étais en équipe régionale de basket, je me voyais plutôt basketteuse professionnelle, ce qui n’a pas été possible, là encore pour des histoires de gabarit. Mais j’ai toujours été fan, je lisais les récits de mer, je regardais les départs des grandes courses avec des frissons. Finalement, c’est la Mini qui m’a confortée dans le fait que j’en étais capable, depuis, je me suis concentrée à fond sur la voile.

Tu as multiplié les expériences sur différents supports, quelles sont les personnes qui t’ont marquée dans ton parcours nautique ?
Dennis Conner : j’ai navigué deux ans avec lui sur le circuit classique sur son bateau Cotton Blossom. Certes, tu n’es pas au top de la performance sur ce type de régate, mais j’ai beaucoup appris au niveau de la méthodologie et de l’approche de la course à son contact et à celui des membres de son équipe, dont certains avaient aussi fait la Coupe de l’America. Il y a aussi Florence (Arthaud) sur la manière de régler et barrer un bateau au large, nous avions couru avec elle et Luc Poupon la Matondo Congo en Class40 en 2007. J’ai aussi couru en superyacht sur Sojana avec les meilleurs navigateurs au monde, Peter Holmberg, Andy Beadsworth, Pete Cumming, des mecs qui ont fait la Volvo ou la Coupe, j’ai énormément appris à leur contact.

Comment t’es-tu retrouvée dans l’équipage de Denis Conner ?
A l’époque, je faisais partie de l’organisation des Voiles d’Antibes pour payer mes études. L’année de la Mini, nous avions exposé le bateau sur le village, ça l’avait interpellé, il était venu me voir en me demandant ce qu’était ce bateau et quel était le programme. Quand je lui ai expliqué, il m’a dit que j’étais complètement tarée, il ne comprenait pas très bien comment on faisait pour traverser l’Atlantique sur un bateau de 6,50 mètres, mais il m’a invitée à naviguer avec lui. J’étais la seule équipière payée à son bord, en charge du réglage des voiles, c’était assez fou, autant te dire que j’avais une pression max… Depuis, nous sommes restés en contact, c’est assez chouette.

Tu es aussi passée par la case Figaro, qu’en as-tu gardé ? 
J’en ai fait ponctuellement depuis l’AG2R en 2006 avec Sam, et j’ai disputé la Solitaire en 2017 en faisant une partie du circuit la même année. Même si c’était un peu dans la souffrance parce que je n’étais pas assez préparée par manque de moyens, et dans la frustration, parce que j’ai commencé à être dans le match sur la dernière étape, c’était une très belle expérience.

Parlons maintenant de ton projet Vendée Globe : comment est-il né et comment l’as-tu structuré ?
En 2017, j’ai rencontré un partenaire prêt à construire un bateau, je m’étais alors rapprochée de Vincent Riou pour qu’il me conseille, il s’est avéré que ce partenaire était malheureusement un peu mythomane, le projet n’a pas abouti. Mais j’avais pas mal travaillé sur le montage, donc je me suis mis en tête de demander un prêt bancaire pour acheter un vieux bateau et y aller quand même. J’ai eu l’accord de deux banques, mais pendant une semaine, j’ai eu des crampes au ventre parce que je ne trouvais pas de sponsor, je me disais que je n’arriverais jamais à assumer les mensualités de ces emprunts. Je me suis alors dit que je connaissais trois personnes dans mon entourage capables d’acheter le bateau sans avoir besoin de passer par une banque, l’une d’entre elles m’a dit oui immédiatement et c’est comme ça que j’ai pu acheter le bateau à Romain (Attanasio) en mars 2018. Ensuite, on a fait un budget collaboratif pour assurer le fonctionnement en fondant un business club, comme je l’avais fait en Figaro et sur le Tour de France à la voile avec le Club des 30 corsaires. J’ai aujourd’hui 40 chefs d’entreprise qui me suivent à hauteur de 3 000 euros par ans sur trois ans, et deux partenaires officiels, Biotronik et le département des Alpes-Maritimes, on cherche maintenant un partenaire-titre pour être plus à l’aise.

Combien as-tu acheté Le Pingouin et quel est ton budget de fonctionnement ?
275 000 euros (HT), c’était un peu cher mais à cette époque, il n’y avait quasiment plus un seul bateau sur le marché et l’urgence était d’être là dès les premières épreuves des Imoca Globe Series pour me qualifier rapidement pour le Vendée Globe, je suis aujourd’hui première ex-aequo au classement des milles (voir notre article). Quant à mon budget, tu vas rigoler : l’an dernier, j’ai fait les Monaco Globe Series et la Route du Rhum avec 150 000 euros (HT), cette année, j’ai pour l’instant 250 000, c’est mieux, mais je reste le petit Poucet de la classe Imoca. Maintenant, si je trouvais un partenaire-titre, ça me permettrait de me concentrer davantage sur la partie sportive, aujourd’hui, je suis un peu trop sur tous les postes.

Le bateau a-t-il évolué depuis que tu l’as racheté ?
Non, nous n’avons pas fait de modifications majeures, on doit changer la quille parce que la jauge l’impose et on aura des voiles neuves pour le Vendée, mais pas pour la Transat Jacques Vabre, même si j’aimerais bien avoir un gennak car celui que j’ai a fait le Vendée avec Tanguy (de Lamotte, skipper du bateau lors du Vendée 2012-2013) puis celui de Romain, je l’ai déjà explosé deux fois, il me supplie de partir à la retraite ! Et l’idée, si on arrive à trouver du budget, c’est aussi d’investir sur un projet 2021-2024.

Comment te sens-tu sur le bateau et que peux-tu viser en termes de résultats avec Le Pingouin ?
J’avais déjà pas mal d’expérience en Imoca parce que j’avais navigué sur le bateau de Sam, l’ancien PRB (vainqueur du Vendée Globe en 2001 et en 2005), j’avais aussi loué celui de Philippe Monnet (Uunet) pour m’entraîner cinq mois en solitaire, c’est un peu la même catégorie de bateau, assez simple à manier. J’ai donc tout de suite trouvé mes marques, il n’y a pas de pièges, je me sens à l’aise sur les manœuvres, même si elles sont très dures, parce que tout est très lourd. Quant aux objectifs, sur la Jacques Vabre avec Joan Mulloy, j’aimerais pouvoir pousser un peu plus sur le bateau si j’arrive à avoir un gennaker neuf. Et sur le Vendée, c’est de battre le record du bateau sur le parcours que Tanguy a établi en 98 jours.

Pourquoi avoir choisi Joan Mulloy comme co-skipper sur la Transat Jacques Vabre ?
Je l’ai souvent croisée en tant que préparatrice sur les pontons de la Solitaire, toujours très souriante, avec une belle énergie, bosseuse, c’est toujours elle qui restait le plus longtemps sur les pontons. Je sais qu’on ne va pas gagner la Transat Jacques Vabre, donc autant parler avec une co-skipper sympa et ultra-motivée, ça nous fera de belles histoires à raconter et si ça peut aussi l’aider à être sur la ligne de départ du Vendée, puisque c’est aussi son objectif, c’est bien.

Parle-nous de la suite du projet que tu as en tête…
L’idée, c’est de monter un projet de construction de bateau dès l’année prochaine pour The Ocean Race en 2021 et participer ensuite au Vendée Globe 2024. J’ai déjà beaucoup échangé avec Juan Kouyoumdjian sur le sujet, pensé à des équipiers, je ne vais pas te donner de nom, mais il y a suffisamment de compétences à bord de Sojana pour monter un bel équipage, très international. Le projet est bien avancé sur le papier, nous sommes prêts à dégainer le jour où on trouve le fameux partenaire.

Mais ça coûte très cher tout ça, tu as chiffré ?
Je dirais 2 millions d’euros par an sans la construction du bateau [un Imoca neuf vaut aujourd’hui près de 6 millions d’euros, NDLR], je pense que les projets ambitieux de ce type peuvent être attractifs pour des partenaires.

Tu cours sous les couleurs de 4myplanet, la cause environnementale est-elle aujourd’hui un argument pour trouver des partenaires ?
De mon côté, l’engagement remonte déjà à loin, puisque j’ai créé l’association 4myplanet en 2010lorsque je suis partie avec le bateau de Philippe Monnet. J’avais embarqué des instruments pour enregistrer des données de température et de salinité de la mer. Là, on réinstalle un thermosalinographe sur Le Pingouin, on n’avait pas les moyens de le payer parce que ça coûte plus de 20 000 euros, finalement l’Ifremer nous prête le sien, ça nous permet de continuer ce travail scientifique. Tout ça pour dire que l’idée de cette association ne m’est pas venue dans l’objectif de trouver des sponsors, ça fait partie de mon ADN de navigatrice. Après, je trouve très positif le fait qu’il y ait de plus en plus d’associations pour la préservation des océans et de la planète inscrites dans les voiles des bateaux.

Photo : Arnaud Pilpré/#RDR2018

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