Kevin Escoffier sur son ancien bateau

Kevin Escoffier : “Rien ne remplace le temps de navigation”

Après une saison passée aux côtés d’Armel Le Cléac’h sur le trimaran Banque Populaire XIKevin Escoffier attend avec impatience la mise à l’eau en avril de son nouvel Imoca, PRB. Au moment où PRB est sur le point d’être racheté par le groupe suisse Holcim, Tip & Shaft s’est entretenu avec le Malouin.

 

► Avant d’évoquer l’actualité PRB, revenons d’abord sur ta collaboration avec Banque Populaire, quel bilan tires-tu de cette saison avec Armel et de votre Transat Jacques Vabre (3e place) ?
Au niveau résultat, on a rempli le contrat, même si c’est un peu frustrant de perdre une place à l’arrivée au profit de François Gabart et Tom Laperche. Sinon, j’adore toujours autant le multicoque, c’était très bien de faire ce projet avant de reprendre l’Imoca à fond pendant deux ans et demi. Par rapport à Banque Populaire IX, il y a eu un gros gap de franchi sur ce bateau : déjà parce qu’il vole plus tôt et plus haut, ensuite parce qu’il est beaucoup plus rassurant, il va vite sans faire de planté, ni de « tranche », c’est-à-dire des coups de gîte violents, c’est très bon signe pour le solitaire. On a vu qu’on avait un petit déficit dans les petits airs au décollage, notamment par rapport à SVR qui est plus léger, car un peu plus court et sans doute parce qu’ils n’ont pas mis tous les renforts qui ont été ajoutés sur Banque Populaire XI suite à la casse du précédent bateau. Ça a des inconvénients dans les petits airs, mais ça donne aussi de la stabilité dès que le bateau est en vol.

► Passons à PRB : l’entreprise est entrée en négociations exclusives avec Holcim en vue de son acquisition, cela change-t-il quelque chose pour ton projet voile ? En as-tu discuté avec Jean-Jacques Laurent (président de PRB) ?
Je n’ai même pas eu besoin d’en discuter avec lui, dans le sens où la voile est quelque chose qui lui tient à cœur et que c’est quelqu’un qui prend soin des gens avec qui il travaille. Pour tout te dire, je suis allé en Vendée le jour de l’annonce avec Damien Guillou, qui a son projet Golden Globe Race, Jean-Jacques nous a annoncé que tout était déjà vu avec Holcim et que les projets voile n’étaient pas impactés.

► Quand vous avez annoncé le lancement du nouveau projet, vous cherchiez un partenaire-titre, où en êtes-vous ?
Aujourd’hui, la question est un peu en suspens, car avec le rachat de PRB, la situation peut évoluer. Autant il n’a pas d’impact sur la poursuite des projets voile, autant il peut en avoir sur le fait de continuer à chercher un co-partenaire ou pas, j’en saurai plus dans les semaines à venir. Mais dans tous les cas, on reste sur ce qu’avait dit Jean-Jacques Laurent, à savoir que si tu veux vraiment aller chercher de la performance sportive, c’est difficile pour une société comme PRB d’assumer seule le budget. La raison pour laquelle on avait acheté ce bateau [dont la construction avait été interrompue en vue de The Ocean Race pour un projet baptisé Switchback, NDLR], c’était d’ailleurs parce qu’il était environ 1,5 million d’euros moins cher que si on avait lancé la construction d’un bateau neuf. Ça permettait aussi de gagner du temps, ce qui reste le plus important quand tu vois l’évolution qu’ont pu avoir les meilleurs bateaux entre le départ du Vendée Globe et la dernière Jacques Vabre. Rien ne remplace le temps de navigation. En ayant un peu moins d’argent, je mise là-dessus et sur un bateau polyvalent pour aller en chercher la quintessence, sans oublier que le temps est aussi gage de fiabilité.

 

“La tendance est à des
carènes plus tolérantes”

 

► Où en est aujourd’hui ton futur Imoca ?
Il est toujours à Southampton dans le chantier de Jason Carrington, le composite est terminé à 95%, on a cinq personnes de l’équipe en train de monter l’accastillage. Il arrivera le 27 janvier à Lorient où on installera l’électronique à bord et on attaquera la peinture, pour une mise à l’eau courant avril.

► A quoi ressemblera-t-il ? Sera-t-il proche du deuxième 11th Hour Racing ?
En termes de carène, oui, avec quelques petites spécificités : le bouchain n’est pas tout à fait le même et on a quand même changé le fond de coque avant sur 4,5 mètres pour avoir une étrave plus spatulée, un peu plus typée que celle de 11th Hour 2 qui reste un bateau plus polyvalent dont le but est de faire The Ocean Race. Moi, dès le rachat, j’ai fait un choix plus orienté portant et solitaire pour avoir un bateau un peu plus tolérant dans la mer. Quant aux foils, ils ont été spécialement dessinés pour PRB, mais ils sont assez proches dans la forme de ceux de 11th Hour 2.

► Quand tu regardes ce qui se fait sur les autres bateaux construits en vue du prochain Vendée Globe, quelle est selon toi la tendance générale ?
Je pense qu’au niveau des carènes, il y a un petit recul par rapport à certaines, assez extrêmes, du dernier Vendée, comme celles d’Arkéa Paprec ou de Corum, des bateaux très pointus et pas si faciles que ça à mener en solitaire, ou même sur certains plans Verdier ou VPLP. Tout le monde essaie d’aller chercher des vitesses moyennes faciles à atteindre en solitaire plutôt que des vitesses de pointe importantes, donc la tendance est à des carènes plus tolérantes.

► Quel va être ton programme en 2022 ?
En fonction de la vitesse de mise au point du bateau, on décidera si on court la Vendée Arctique ou pas. Comme elle part des Sables [le siège de PRB est à La Mothe Achard, non loin des Sables, NDLR], j’aimerais bien la faire, maintenant, l’objectif principal reste la Route du Rhum 2022 et on sait qu’avec ces bateaux, il ne faut surtout pas vouloir aller chercher à tout prix la première régate en solitaire au détriment de la préparation, parce que derrière, tu peux le payer très lourdement. Donc si je considère que la mise au point n’est pas suffisamment avancée pour aller faire cette course, j’irai plutôt faire du faux solo sur l’Atlantique et aller chercher les conditions météo que l’on souhaite. Après, on sera au Défi Azimut et bien évidemment au départ de la Route du Rhum où j’arriverai avec l’ambition d’être compétitif.

 

“J’aurais préféré obtenir cette
médiatisation 
par un résultat sportif”

 

► Que t’inspire le plateau du Rhum 2022 puis deux ans plus tard du Vendée Globe 2024 ?
C’est fantastique, ça donne la niaque d’aller au sport, de bosser la météo et de naviguer beaucoup pour être le plus compétitif possible Comme je le dis souvent, sur le dernier Vendée Globe, c’était bien évidemment un échec dans le sens où on casse le bateau et on abandonne, mais j’en ai quand même tiré des certitudes sportives, au sens où quand je casse, j’étais troisième avec un bateau qui n’était pas le plus récent de la flotte sur seulement ma deuxième course en solitaire. Donc je sais que le plateau sera fantastique, mais je n’aurai pas à rougir.

► Tu parles de ton échec sur le Vendée Globe, il t’a aussi apporté malgré toi une reconnaissance médiatique importante, comment la vis-tu ?
J’étais effectivement quelqu’un qui était connu dans le monde professionnel mais pas du tout du grand public, donc bien évidemment, ça change la donne. Après, je suis connu parce que j’ai cassé un bateau, donc aujourd’hui, même si ça me fait très plaisir d’avoir cette reconnaissance qui peut inspirer certains et inciter des gens à aller faire de la voile, j’aurais préféré obtenir cette médiatisation par un résultat sportif. Mais c’est comme ça, on me posera encore des questions là-dessus, on m’en reparlera à chaque départ de Vendée Globe, j’en suis conscient, parce que, humainement, ça a quand même été une grosse aventure, ça restera une marque importante dans mon parcours.

► Tu as l’impression de te retrouver dans le même cas de figure que Bertrand de Broc ou Yves Parlier, dont l’image a longtemps été associée à des faits de course sur le Vendée Globe (langue recousue pour le premier, demi-tour du monde sous gréement de fortune pour le second) ?
Oui, c’est exactement du même ordre, maintenant, je fais attention à ne pas passer mon temps à surfer là-dessus. Je n’ai pas écrit de livre et la seule demande que j’avais faite à mon retour à Paris, c’est que je voulais bien faire tous les médias que PRB et Effets Mer [l’agence de communication qui gère le projet, NDLR] souhaitaient, mais dans le cadre d’émissions sportives. J’aurais aussi pu faire la Jacques Vabre avec Jean, ce qui m’aurait fait énormément plaisir – et sportivement, je suis sûr qu’on aurait pu faire quelque chose de bien -, mais l’histoire qu’on a eue sur le Vendée Globe, elle était belle parce qu’elle n’était pas organisée, elle était inédite, ça ne marche pas d’essayer de la réécrire. Maintenant, le meilleur moyen qu’on ne me remémore pas que ça, c’est que j’aille faire des résultats.

 

Photo : Yann Riou

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