Pour Stewart Hosford, il faut que le Vendée Globe 2020 ait lieu à la date prévue

Quentin Lucet : “Sur Hugo Boss, l’idée a été d’optimiser la traînée minimum”

Très attendu, le dernier Hugo Boss d’Alex Thomson a été mis à l’eau début août à Gosport avant d’être officiellement présenté et baptisé jeudi dernier à Londres. L’occasion pour Tip & Shaft d’échanger avec Quentin Lucet, en charge du projet chez VPLP, accompagné, lors de cet entretien, par Vincent Lauriot-Prévost.

Comment avez-vous été choisis par l’équipe d’Alex Thomson ?
Quentin Lucet : Nous avions déjà une une relation de confiance avec eux, puisque nous avions fait leur bateau d’avant, Hugo Boss 6 [avec Guillaume Verdier, NDLR]. Ensuite, nous étions dans un contexte où Guillaume travaillait sur le Super Sixty [le projet de 60 pieds monotype pour la Volvo Ocean Race, NDLR], Alex avait initié des discussions autour de ce projet, mais il ne correspondait pas forcément avec ce qu’il avait en tête, dans le sens où il voulait partir d’une feuille blanche. Nous avons beaucoup discuté avec l’équipe d’Alex, notamment du temps à notre disposition, sachant que l’objectif de mise à l’eau était bien identifié : la Transat Jacques Vabre 2019. En tout, nous avons pu bénéficier de plus de six mois d’études dédiées au projet avant l’envoi des formes, contre trois ou quatre en général.

Quel était le cahier des charges ?
Vincent Lauriot-Prévost : Il était simple : c’était le Vendée Globe, sinon rien ! Quand on lui a demandé si on mettait des ingrédients pour que ce bateau soit utilisable sur d’autres courses, la réponse était “non, pas du tout”.

Qu’en avez-vous déduit en termes de philosophie générale ?
Quentin Lucet : Notre philosophie générale consiste en une optimisation autour de la traînée minimum du bateau, l’accent a été mis sur l’hydrodynamique et sur les foils, puisqu’on compte réellement sur leur puissance pour mener le bateau aux allures de prédilection du Vendée Globe.

Si l’on rentre dans le détail ?
Quentin Lucet : Il y a plusieurs niveaux : d’abord l’optimisation de la masse, sur laquelle nous avons beaucoup insisté, et du centre de gravité, qui correspondait à la demande d’Alex d’avoir un cockpit plus avancé. Nous avons dessiné une géométrie, notamment des formes de livet, avec une répartition des volumes au sein de la coque qui allait réellement dans le sens du gain de masse. Ça nous permet d’avoir un bateau qui, concrètement, a un plancher de cockpit le plus bas de toute la flotte. Le deuxième niveau est la partie aérodynamique, avec une grosse recherche sur le dessin du roof, à la fois sur la partie avant et sur la terminaison au niveau de la barre d’écoute. Nous avons fait des études de fardage sur une plateforme Imoca qui mettaient en évidence le frein important que constituait la barre d’écoutes. Résultat : on ne se retrouve plus avec un roof puis une casquette au-dessus du plancher de cockpit, mais avec un roof continu du pied de mât jusqu’au tableau arrière. En plus, ça va dans le sens de la protection du skipper avec le cockpit entièrement fermé.

Ce cockpit complètement fermé, c’est le fruit de cette réflexion ou une demande d’Alex Thomson ?
Quentin Lucet : C’est plutôt lui qui est venu avec cette idée. Car la mise en place d’un tel cockpit est complètement liée à l’homme qui va être à bord : est-ce qu’il se sent à l’aise ou pas avec cette option ? Lui a poussé dans ce sens.

Concrètement, comment navigue Alex dans ce cockpit fermé ?  
Quentin Lucet : Tout est centralisé, il n’a pas besoin de sortir ni de s’exposer pour aller choquer ou regarder ses voiles, et il y a tout ce qu’il faut en termes d’ouverture sur le dessus pour avoir une vision devant, derrière et sur les voiles, en gros c’est un toit ouvrant. En plus, il a mis des caméras qui permettent de tout voir à 360 degrés. L’autre avantage, c’est que ça permet d’éviter de se retrouver avec 400 litres d’eau dans le cockpit, dans les aspérités du pont et sur les bouts : le gain de masse en dynamique est très important.

Parlons maintenant de la carène, quelles sont ses caractéristiques ?
Quentin Lucet : Le plus frappant, je pense, c’est le tableau arrière assez arrondi avec un bouchain pas très marqué. L’avantage, c’est que quand le bateau commence à déjauger, on a une réduction de surface mouillée très rapide, ce qu’on voit moins avec des formes de carène plus plates. Ensuite, au niveau des entrées d’eau, on a essayé de tendre le plus possible les lignes d’eau, avec une étrave qui a un gros nez, ce qui permet, dès que le bateau se met à la gîte, de réduire encore plus la traînée de coque.

On peut connaître le poids du bateau ?
Quentin Lucet : Ce n’est pas à nous de répondre [7,6 tonnes d’après le communiqué], mais on arrive à une masse à peu près similaire aux bateaux les plus légers de la dernière génération, en ayant des foils largement plus imposants [la paire de foils est annoncée à 500 kilos].

Quelles sont les caractéristiques des foils d’Hugo Boss ?
Quentin Lucet : Nous avons mis l’accent sur un décollage tôt, parce que nous estimons que leur zone d’utilisation est importante dans les petits airs, ce n’est pas forcément dans 25 nœuds de vent que ça va se jouer. La deuxième notion assez importante est celle d’auto-régulation du foil, parce que le “tabouret à deux pieds”, ce n’est pas extrêmement stable sur une route pas très bien cabossée, donc on essaie de travailler sur le fait que les perturbations venant de la mer ou du vent puissent s’auto-réguler dans une certaine mesure avec la forme des foils.
Vincent Lauriot-Prévost : Concrètement, il ne s’agit pas de faire un shaft, un coude et un tip – désolé pour Tip & Shaft ! – mais c’est un rayon qui sort du pont, où le shaft, le coude et le tip sont confondus. On cherche à ce que la variation d’enfoncement puisse générer une régulation par les pentes que l’on donne en entrée et en sortie.

Faire décoller le bateau tôt, ça veut dire à partir de quelle vitesse ?
Quentin Lucet : Ça dépend des allures, mais je pense qu’à partir de 10 nœuds, ça reste assez neutre, le foil paie pour la traînée qu’il génère, ensuite, à partir de 12 nœuds, le bateau sort. Ce qui est assez intéressant, c’est que ces foils sont complètement rétractables, ça veut dire que si on n’en a pas besoin, dans toutes les allures où ils génèrent plus de traînée qu’ils ne créent de la portance, on peut les rentrer.

Quelles sont les grandes différences entre Hugo Boss et Charal ?
Quentin Lucet : D’abord, les foils sont différents, parce que les cahiers des charges des skippers le sont en termes d’utilisation et de recherche ou non de polyvalence : Alex considère que le près n’est pas très important pour gagner le Vendée Globe, là où pour Jérémie, ça l’est un peu plus. Ensuite, le cockpit et le plan de pont, dont on a parlé, ne se ressemblent pas. Je pense aussi qu’on a eu une réflexion assez longue avec l’équipe d’Alex sur le design structurel, on a pris le temps de faire des itérations complètes sur des options de petites structures, parce qu’ils nous ont donné le temps de les étudier. A chaque fois qu’il y avait un gain possible de dix-quinze kilos qui répondait aux considérations ergonomiques, on y a été.

Et quelles sont les différences avec les autres Imoca mis à l’eau cet été ?
Vincent Lauriot-Prévost : On n’a pas été chercher la même chose : là où nous avons dessiné une carène pour optimiser le frein hydrodynamique, les autres ont travaillé sur des carènes plus puissantes sans l’aide du foil. Nous n’avons pas accepté de payer en traînée ce qu’on peut gagner en puissance, comme ce qu’on faisait avant avec des petits foils. On a fait un peu moins de concessions, nos projets sont un peu plus radicaux, dans la mesure où si on devait un jour naviguer sans foils, on serait plus pénalisés qu’eux.
Quentin Lucet : Si le foil casse, Alex ne sera plus capable de tenir le rythme comme il l’avait fait il y a trois ans, ce qui était possible parce que les foils étaient beaucoup plus petits. Alex dit d’ailleurs que la marche entre son dernier Hugo Boss et l’actuel est encore plus grande que ne l’était celle d’avant.

En combien de jours le nouveau Hugo Boss serait-il capable de faire le Vendée Globe ?
Quentin Lucet : Je ne serais pas surpris d’avoir le même genre d’écart qu’entre le Vendée Globe de François [Gabart], 78 jours, et celui d’Armel [Le Cléac’h], 74. Donc autour de 70 jours si les conditions le permettent.

Ce bateau pourrait-il être transformé pour The Ocean Race ?
Quentin Lucet : Ce ne serait pas une hérésie, tout ce qui est coque et foils, ça marche, il faudrait en revanche mettre un joli coup de tronçonneuse dans le cockpit, on ne peut pas être à cinq dedans…

Les foils actuels seront-ils ceux du Vendée Globe ? Une V2 est-elle prévue ?
Quentin Lucet : Nous avons fait les foils qui nous paraissaient les mieux, maintenant, les outils ont encore évolué depuis le lancement des formes, mais pour savoir où on va, on a d’abord besoin d’un retour d’expérience du marin et de recevoir les analyses des données.
Vincent Lauriot-Prévost : Il n’y a pas de décision pour l’instant, ni dans un sens ni dans l’autre.

Hugo Boss peut-il gagner la Transat Jacques Vabre ?
Quentin Lucet : Je pense que l’objectif est vraiment de faire un gros travail de fiabilisation. Le processus est long, on l’a vu avec Charal qui, au bout d’un an, est fiable, donc la priorité sera de traverser, plutôt que de se mettre la pression de vouloir gagner.
Vincent Lauriot-Prévost : Après, dans le meilleur des mondes, s’il y a zéro pépin, l’équipage et le bateau peuvent gagner, dès qu’ils auront dégolfé, ça va être tout schuss.

Photo : Lloyd Images/Alex Thomson Racing

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