Imoca Arkea Paprec

Yann Éliès : “Je me retrouve à 100% dans mon rôle de co-skipper”

Entre une participation à The Ocean Race au sein du Team Malizia de Boris Herrmann et une saison en double avec Yoann RichommeYann Eliès, qui sera au départ la semaine prochaine de la Guyader Bermudes 1000 Race à bord du nouveau Paprec Arkéa, est bien occupé en ce moment en Imoca. Tip & Shaft a échangé avec le triple vainqueur de la Solitaire du Figaro.

► Tu fais partie du Team Malizia pour The Ocean Race, quel est ton rôle exact ?
Je ne suis pas là en permanence et pas sur toutes les étapes, c’était impossible pour moi d’être à plein temps. Donc je suis d’abord intervenu en amont pour aider l’équipe à faire les bons choix dans la préparation technique de Malizia, mais aussi pour continuer à en former certains sur le bateau, ce qui a été le cas pendant le convoyage retour de la Route du Rhum, avec notamment Rosie (Rosalin Kuiper) et Will (Harris), c’était un peu un rôle de grand frère. Ensuite, suite au forfait de Boris pour la deuxième étape, je l’ai remplacé à bord, ce qui m’a vraiment permis de découvrir les points forts et les points faibles du bateau. Et je vais revenir pour l’étape 5 dans un rôle de performer et sûrement de conseiller sur la météo, puisque Nicolas Lunven va nous quitter à Newport, ça va être un sacré défi de le remplacer, vu le très bon boulot qu’il a fait jusqu’ici.

► Quels sont ces points forts et faibles du bateau ?
Ses gros points forts, c’est son ergonomie et la carène, qui donnent la possibilité à l’équipage de maintenir des vitesses élevées dans la brise et la mer formée, pas en totale décontraction, mais plus facilement que sur d’autres bateaux. On a bien vu sur les images du Grand Sud la différence de vie à bord entre les bateaux. Sur Malizia, on voit les gars debout, qui se tiennent à peine, arrivent à discuter et à rigoler ; sur les autres, on en voit qui sont trempés, en ciré, ils prennent certes ça avec bonne humeur, mais ils sont pliés en deux car il n’y a pas la hauteur sous barrot et que le bateau enfourne beaucoup, ils sont obligés de se tenir en permanence, c’est hyper stressant. Ces conditions de vie plus faciles sont dues à la fois au volume à l’intérieur du cockpit, mais aussi au passage de la carène dans la mer qui est une grosse réussite. Les points faibles sont le corollaire de tout ça : avec un bateau très haut de franc-bord et une grande hauteur de barrot à l’intérieur, il est un peu plus lourd que les autres, donc il ne domine pas dans la tranche en dessous de 18 nœuds de vent, mais c’est un parti pris qui, pour l’instant, ne donne pas tort à Boris, d’autant que les choix structurels qu’il a faits rendent Malizia très fiable.

 

“Le démâtage de Holcim-PRB
rebat les cartes”

 

► Que t’inspire le démâtage de Holcim-PRB jeudi matin ?
C’est cruel pour eux, car depuis le début de la course, ce sont eux qui naviguent le mieux et font le moins d’erreurs. Maintenant, sur ce sujet des mâts, on est un peu en limite de charges, je ne sais pas comment ils étaient équipés sur cette étape, s’ils avaient un faux étai, comme c’est par exemple le cas sur Malizia, mais je pense que personne n’est totalement à l’abri. J’ai vu que Kevin (Escoffier) et son équipe allaient tout faire pour essayer de récupérer un mât et finir l’étape, c’est un vrai défi logistique et financier pour eux. Ce qui est sûr, c’est que ce démâtage rebat les cartes, avec notamment une étape Newport-Aarhus qui compte double en points, tout est encore possible au général.

► C’est ta première expérience sur The Ocean Race, quelles sont tes impressions ?
Je trouve ça génial. Ça a certes un coût humain et financier pour les équipes, mais il vaut mieux la faire, même avec des petits moyens et de la débrouille, un peu à l’image de Biotherm et Guyot, que de rester en chantier en France. Je pense que la prochaine fois, il y aura plus d’équipes. D’abord, parce qu’il y a un intérêt sportif évident, ensuite, parce qu’on occupe le terrain médiatique à une période où il ne se passe rien, enfin parce que c’est une aventure humaine exceptionnelle, avec en plus une dimension voyage et famille qui vaut d’être vécue.

► Cette collaboration avec Team Malizia va-t-elle se poursuivre ?
C’est possible, l’hypothèse de continuer à travailler avec eux jusqu’au Vendée Globe pour coacher l’équipe et Boris faisait partie des choses que nous avions évoquées au départ, ça peut être intéressant. Il faudra voir si Boris est motivé par ce nouveau challenge, comment il va se remettre de The Ocean Race.

 

“Charlie et Yoann ont
des profils très proches”

 

► Tu travailles aussi avec Yoann Richomme, que tu accompagnes cette saison sur les courses en double, comment as-tu été contacté ?
Je pense que les sponsors avaient apprécié le travail que j’avais fait avec Sébastien Simon sur le précédent bateau (Arkéa Paprec), ils ont sans doute un peu poussé vers moi quand ils ont discuté du co-skipper. Et sur le marché des co-skippers en Imoca, il ne restait plus grand monde de mon profil, c’est-à-dire avec de l’expérience sur les bateaux à foils et la capacité à transmettre. Ça s’est fait naturellement et assez tôt, en septembre dernier. L’idée est de reproduire un peu le travail qu’on avait fait sur Apivia avec Charlie Dalin et de permettre à Yoann de s’aligner au départ du Vendée Globe pour le gagner, en ayant une courbe de progression express entre la mise à l’eau du bateau et le départ du tour du monde. Charlie et Yoann ont des profils très proches, ce sont des marins d’exception, intelligents, passés par la même filière, architectes de formation, qui comprennent tout ce qui se passe à bord…

► Paprec Arkéa a été mis à l’eau il y a deux mois, qu’en penses-tu ?
On va dire que ça semble être un mix entre Malizia et un plan Verdier de génération précédente, qui marchait très bien sur mer plate et au près, mais souffrait d’une carène trop tendue pour le passage dans la mer au portant. Pour l’instant, ça semble une réussite, maintenant, on n’a pas beaucoup vu le bateau au portant dans la mer.

► Vous disputez la Guyader Bermudes 1000 Race dans une semaine avec Yoann, quel est l’objectif de cette première course ?
Le mot d’ordre, c’est d’abord de se découvrir, puisqu’on n’a jamais navigué juste tous les deux. Ensuite, c’est de faire au mieux avec ce qu’on a, parce que dans un délai aussi court pour se préparer, on n’a forcément pas tous les gadgets qui nous permettront de tirer à 100% sur le bateau, on est encore en phase de découverte du manuel d’utilisation. On a aussi envie de se confronter un peu aux autres, on va essayer de ne pas les laisser partir trop vite devant pour avoir des premiers éléments de comparaison.

► Même question que pour Malizia, cette collaboration va-t-elle durer ?
Je ne sais pas trop, on n’en a pas discuté, mais j’ai l’impression que Yoann va être vite autonome, donc je ne pense pas que ça continuera après cette année. J’aurais pu me positionner comme skipper remplaçant, mais je ne peux pas parce que je vais travailler à la direction de course du Vendée Globe.

 

“C’est sûr que je ne ferai plus
d’Imoca en solitaire”

 

► Tu as longtemps été skipper, notamment en Imoca, apprécies-tu ce rôle de co-skipper ?
Oui, complètement, je m’y retrouve à 100% ! Je ne suis pas à temps complet, je n’ai pas les responsabilités et la pression que doit supporter le skipper, j’ai moins de contacts avec les sponsors et les médias, j’arrive à dégager un peu de temps pour faire autre chose, c’est tout ce que je recherchais !

► Tu t’es aussi lancé dans une reconversion dans la direction de course, te vois-tu emprunter le chemin d’autres anciens marins devenus directeurs de course, Jean Maurel, Jacques Caraës… ?
Je pense que c’est un métier vers lequel je vais m’orienter dans les dix prochaines années, oui, même si je m’interroge un peu sur le rôle et sur les responsabilités du directeur de course que je trouve trop grandes. On va vers une tendance où l’organisateur donne les clés du bus au directeur de course qui se retrouve à tout gérer. Je me demande par exemple si c’est vraiment le rôle du directeur de course de la Route du Rhum de s’assurer que les bateaux sortent des écluses de Saint-Malo à 13h05 parce qu’il y a un direct qui commence. Je trouve que ça commence à faire une grosse, grosse pression.

► Tu auras 50 ans en début d’année prochaine, as-tu toujours autant envie de naviguer et as-tu des désirs non assouvis ?
Oui, j’ai envie de naviguer le plus longtemps possible, d’autant que j’estime que pour être un bon directeur de course ou un bon entraîneur – une autre de mes casquettes que j’espère continuer à développer l’année prochaine au pôle de Port-la-Forêt -, il faut pratiquer. Même si je me rends compte que j’arrive plus près de la fin de carrière avec des bateaux qui commencent à être très difficiles à mener, ça passe encore en double et en équipage. J’aimerais ainsi encore faire un Jules Verne en Ultim, par contre, c’est sûr que je ne ferai plus d’Imoca en solitaire.

 

Photo : Eloi Stichelbaut – polaRYSE

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