Lorient La Base, Défi Azimut 2019.

Emmanuel Bachellerie : “Je suis préoccupé, mais pas inquiet”

Le départ de Brest Atlantiques, nouvelle épreuve en double de 14 000 milles réservée à la classe Ultim 32/23, initialement prévu dimanche, est donné ce mardi 5 novembre à 11h. Directeur général de Brest Ultim Sailingqui organise la courseEmmanuel Bachellerie évoque la course et l’avenir de la classe, dont il est également délégué général.

Commençons par la genèse de cette course, pouvez-vous nous rappeler comment elle est née ?
Tout est parti d’une Route du Rhum 2018 qui a été rugueuse pour les Ultims. Dès l’arrivée à Pointe-à-Pitre, on s’est demandé si on avait les moyens de faire partir un tour du monde (Brest Oceans) un peu plus d’un an plus tard et s’il n’était pas plutôt nécessaire de suivre une courbe d’apprentissage plus longue pour ces bateaux en faisant plus d’équipage pour mieux les connaître et les fiabiliser. Début décembre 2018, on est arrivés à la conclusion que c’était plus raisonnable de décaler Brest Oceans prévue fin décembre 2019. On s’est alors tournés vers la Transat Jacques Vabre et après le refus de l’organisateur de nous accueillir, et parce que nous avions des accords avec Brest Métropole, le département et la région, nous avons réfléchi à l’élaboration d’une course au départ de Brest qui soit à la hauteur de ces bateaux, d’où Brest Atlantiques.

La demande de Brest était-elle forte ?
Non, ce n’est pas quelque chose qui nous a été imposé. On leur a dit qu’on avait l’opportunité de faire une course au départ de Brest en leur demandant si ça les intéressait, ils nous ont répondu que si nous avions une solution capable d’être produite en six mois et demi, ils nous suivaient.

Sans le soutien de Brest, il n’y aurait donc rien eu, avez-vous envisagé un moment une année 2019 blanche ?
Non, une année blanche, ce n’est pas possible. Ce sont des projets qui s’amortissent au minimum sur des programmes de quatre ans, vous ne pouvez pas amputer le programme de 25%, donc on a tout de suite réfléchi à une solution alternative pour avoir une épreuve d’envergure cette année.

Est-ce compliqué à organiser quand une partie des actionnaires de la société organisatrice, Brest Ultim Sailing, est composée des armateurs ?
Je ne connais aucun système qui n’est pas contraint. L’avantage, c’est qu’ils connaissent tous l’économie de ces bateaux, l’engagement qu’on doit y mettre, ils ont un ADN commun, ce qui fait qu’ils comprennent les contraintes de chacun. Ce qui n’empêche pas que, de temps en temps, il y en a un qui a une contrainte pas exactement identique à celle du voisin et que ce soit un peu plus musclé, mais c’est comme dans la vie et on arrive toujours à trouver des compromis.

Le sujet du media man a-t-il été compliqué à imposer ?
Je sais que Jean-Luc Nélias a un avis toujours très tranché sur la question, mais sur ce sujet, les teams étaient plutôt d’accord, sachant que cela répond à un double objectif. On sait bien que le double, c’est deux solitaires augmentés, donc compte tenu de la rudesse sportive, de la durée du parcours et la complexité météo, on s’est dit que c’était mieux si les marins n’avaient pas à s’occuper de ça. Ensuite, et là, on n’a rien inventé, puisque cela existait déjà sur d’autres courses comme la Volvo, on voulait vraiment faire vivre cette course qui va de l’intérieur. C’est quand même un luxe d’avoir quelqu’un qui va pouvoir consacrer l’exclusivité de son temps à raconter ce qu’il voit.

Avez-vous imposé un cahier des charges aux media man ?
Jamais ! Je ne demanderai jamais à un media man de me faire tel ou tel plan, de suivre telle ligne éditoriale, la beauté de leur récit sera dans la spontanéité de ces garçons. Dans les moments difficiles, certains à bord ne voudront pas forcément montrer que c’est difficile, d’autres au contraire le feront peut-être. Je suis convaincu qu’on aura une flopée d’histoires différentes.

C’est la première course organisée par Brest Ultim Sailing, y a-t-il un peu de pression ? Sentez-vous que vous êtes attendus au tournant ?
Oui, il y a de la pression, c’est normal, parce que je veux que ça se passe bien, mais je ne suis pas d’une nature anxieuse, et pour l’instant, les restitutions que nous avons eues sur le village sont unanimement positives, donc sur ce sujet au moins, je pense qu’on ne s’est pas trompés. Après, il y a 30 jours de course, je pourrai répondre après ces 30 jours. Maintenant, je ne fais jamais rien en fonction des commentaires des uns et des autres, que certains commentent, critiquent ou louent ce qu’on fait, chacun est libre.

La survie de la classe dépend-elle en partie de la réussite de Brest Atlantiques ?
Je vois ce que vous voulez dire, mais je n’aime pas ces mots-là. Mon état d’esprit aujourd’hui, c’est que je suis préoccupé, mais pas inquiet. Préoccupé, parce qu’on a forcément envie que les quatre rentrent, mais on sait que c’est un sport mécanique, et qu’il peut y avoir un ou deux pépins, on ne peut pas tout sécuriser. Si on a des pépins techniques très lourds, du type de certains de la dernière Route du Rhum, on se posera la question à ce moment-là. Mais aujourd’hui, je me dis qu’on a au monde cinq bateaux qui rentrent dans la classe Ultim, les quatre qui sont quai Malbert, un qui est en train de tourner autour de l’Afrique pour battre un record qui est le sien [Idec Sport, NDLR]. Je préfère profiter de ça et je me dis qu’on a déjà une chance inouïe d’avoir ces quatre prototypes magnifiques ici avec des garçons aguerris qui savent très bien que c’est mieux pour tout le monde que les quatre finissent. Maintenant, ils ont beau être extrêmement responsables, on ne maîtrise pas tout. Armel le Cléac’h est un des marins les plus brillants de sa génération, ça n’a pas empêché ce qu’il lui est arrivé sur la Route du Rhum.

Avez-vous essayé de retenir Francis Joyon et Idec ?
Francis Joyon est épris de liberté, on lui a proposé, une, deux, trois fois de venir avec nous au sein de la classe, il est venu à Nice sur la Nice UltiMed, depuis il a fait un autre choix, on est très respectueux de sa décision. On aimerait bien sûr qu’il soit là, il sait très bien qu’il est potentiellement le bienvenu, maintenant, on ne va pas se mettre à genoux. Chacun est libre de faire ce qu’il veut.

La société Brest Ultim Sailing a été créée à l’origine pour organiser Brest Oceans qui a été reportée à 2023, a-t-elle vocation après Brest Atlantiques à être pérenne et à organiser d’autres courses ?
Je vais vous faire une réponse de Normand : à chaque jour suffit sa peine. On verra à la fin de Brest Atlantiques, ce serait présomptueux de répondre maintenant. C’est quelque chose de nouveau, donc avant de titrer des plans sur la comète, il faut aller au bout de cette course, on fera ensuite un bilan et, en fonction de ce qu’on aura bien fait ou pas bien fait, on pourra se demander s’il faut pérenniser tout ça, c’est trop tôt aujourd’hui.

Mais si vous avez bien fait, vous aurez envie de continuer, non ? Et Brest Ultim Sailing doit bien organiser Brest Oceans ?
Je ne sais pas, il y a des gens qui créent des trucs et une fois que ça marche, ils vont faire autre chose, on verra. Et Brest Oceans, ça devait être cette année, ça sera en 2023, c’est loin, donc aujourd’hui, je ne sais pas.

En 2020, The Transat CIC est-elle bien au programme de la classe ?
Oui, probablement, je crois que l’organisateur l’a dit, il a présenté les quatre catégories de bateaux qui disputeront la course, on doit encore échanger, mais c’est dans les tuyaux.

La classe Imoca ne vous a pas accueillis les bras ouverts sur la Transat Jacques Vabre, elle fera partie des quatre classes annoncées sur The Transat CIC, comment vivez-vous cette cohabitation compliquée  ?
Chacun dit ce qu’il veut. Pour la Transat Jacques Vabre, l’organisateur m’a notifié une décision de refus, je l’ai regrettée, mais c’est comme ça, je ne me préoccupe pas de ce que pense la classe Imoca. Ce que je sais, c’est que la course au large a besoin de ces courses multi-classes. Certes, certaines classes ont aussi besoin d’événements qui leur sont dédiés, ce n’est pas à l’Imoca que je vais expliquer que tout tourne autour du Vendée Globe qui n’est pas une course multi-classes, mais est-ce que le Vendée Globe se suffit à lui-même sans les autres courses ? La réponse est non. Est-ce que les Ultim peuvent vivre leur vie tout seuls tout le temps ? Je ne crois pas. C’est grâce à la juste cohabitation des deux qu’il y aura une dynamique dans ce sport, ce n’est pas en opposant les classes. Et quand le projet de Lorient-Les Bermudes-Lorient a revu le jour, l’organisateur nous a posé la question très vite de savoir s’il pouvait demander aux Imoca et aux Multi50 de venir, j’ai dit oui immédiatement.

Finissons par vous : les gens vous connaissent peu, pouvez-vous nous dire comment vous êtes arrivé dans le milieu de la course au large ?
A titre personnel, je suis un dingue de montagne, de glisse, de Hobie Cat et de funboard depuis que j’ai 8 ans. Ensuite, je suis arrivé dans cet univers en 2006 et 2007, puisque je me suis occupé de la communication de la Multicup, puis de celle d’un team. J’ai ensuite fait autre chose, et quand l’aventure du Collectif Ultim a démarré, les armateurs m’ont choisi pour être leur coordinateur, l’histoire a peu à peu grossi, si bien qu’on m’a finalement demandé si je voulais me consacrer à plein temps à ce dossier, à la fois sur la classe et sur Brest Ultim Sailing. Les raisons pour lesquelles j’ai accepté de basculer sont d’abord que je suis un amoureux transi de ces bateaux qui sont pour moi une certaine part du génie humain, ensuite parce que je suis attaché aux marins qui les skippent, enfin parce que je travaille avec des armateurs engagés, loyaux et donnent du temps pour faire les choses, ce qui n’est pas si fréquent que ça aujourd’hui.


Qui va gagner Brest Atlantiques ?
Interrogés sur les chances des uns et des autres de remporter Brest Atlantiques, les skippers qui prendront le départ de Brest, penchent plutôt pour Macif (François Gabart/Gwénolé Gahinet) et le Maxi Edmond de Rothschild (Franck Cammas/Charles Caudrelier). “Le projet Gitana arrive quasiment à maturité, c’est le bateau le plus performant dans sa version volante. Et Macif est celui qui a eu la plus belle progression”, nous confiait il y a deux semaines Thomas Coville qui estime Sodebo Ultim 3, dernier-né de la flotte, qui n’a pas encore de plan porteur de dérive “en dessous car encore en mise au point”.
Interrogé à Brest, Yves Le Blévec (Actual Leader), qui misera de son côté sur la fiabilité sur le plus ancien bateau de la flotte, est sur la même longueur d’ondes : Gitana est très impressionnant en vitesse, alors que chez Macif, ils ont le meilleur bagage de connaissance du bateau, s’il fallait dire un nom, je dirais que Macif est vachement bien placé.”
Qu’en pense François Gabart ? “On fait partie des plus rapides, on a prouvé qu’on était capables de faire de belles choses, on connaît bien le bateau, mais je ne dirais pas que nous sommes les favoris. Gitana est depuis un an et demi régulièrement le bateau le plus rapide, c’est un fait.” Quant à Charles Caudrelier, qui fait équipe avec Franck Cammas sur le Maxi Edmond de Rothschild, il s’attend à un “beau match” : Macif a beaucoup progressé et a aujourd’hui des performances très proches de notre bateau, François est en outre capable de mettre le rythme très haut, nous, on est un peu les bizuths de la classe, 30 jours sur un Ultim en mode volant, on n’a jamais fait.”

Photo : Yvan Zedda/Brest Atlantiques

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