Dernier qualifié pour le tour du monde en solo, Armel Tripon est arrivé jeudi dernier aux Sables d’Olonne à bord de L’Occitane. A un peu plus de trois semaines du départ, le Nantais, vainqueur de la Route du Rhum 2018 en Multi50, évoque ses ambitions.
Qu’est-ce que ça fait de rentrer dans le chenal des Sables d’Olonne, à un peu plus de trois semaines du départ ?
On y est ! C’est deux ans de travail – voire un peu plus – qui commencent à se concrétiser, on se rapproche du moment tant attendu du départ, c’est déjà en soi une première victoire. Le parcours a été semé de pas mal d’embûches, un vrai concours de saut d’obstacles, mais on sait que ce type de projet génère ça. Il y a tellement de choses imprévues qui arrivent qu’il faut être prêt à s’y confronter et surtout être bien entouré pour y faire face, c’est vraiment la clé.
Tu vas participer à ton premier Vendée Globe à 45 ans, ça a été long pour arriver jusque-là ?
Je me souviens m’être dit un jour que si je ne faisais pas le Vendée Globe à 40 ans, ça serait cuit après, je ne serais plus crédible. Mais en fait, je trouve que plus ça va, plus je suis en forme et mieux je navigue ! La course au large est aussi un sport qui favorise la maturité, il peut s’exercer tard. Et puis j’ai démarré tard, quelque part, je suis encore un jeune coureur. Donc je ne dirais pas que ça a été long, il y a juste eu plein d’étapes avant, je me suis construit véliquement de différentes manières et je ne me suis pas ennuyé du tout !
Peux-tu revenir sur les avaries de l’été dernier lors de ta qualification de la Vendée-Arctique-Les Sables d’Olonne puis de la course elle-même ?
Il y a d’abord eu un choc avec un Ofni qui a endommagé l’étrave et le safran tribord et nécessité de réparer en moins de dix jours pour prendre le départ. Puis sur la course, une nouvelle avarie dans la même zone de l’étrave qui nous a conduits à renforcer conséquemment toute cette zone et tout le fond de coque, on a rajouté de la structure en faisant des maillages plus serrés. On a d’ailleurs appris à peu près au même moment que tous les autres projets avaient eux aussi renforcé leur fond de coque, je pense que tout le monde a été surpris des forces en jeu, des impacts plus puissants que ce que les calculateurs et architectes avaient imaginé, tout ça est finalement assez empirique.
Au moment de partir, es-tu rassuré ?
On n’a pas joué, on n’a pas cherché à se dire qu’on allait essayer de rester dans tel devis de poids, on a pris des coefficients de sécurité importants pour que le bateau termine le Vendée Globe, donc sur la partie structurelle, je n’ai pas d’inquiétude. Après, il peut se passer autre chose, parce qu’on a peu navigué dans des conditions fortes longtemps, on manque de milles dans des conditions musclées.
à 22-25 nœuds, ça s’apprend”
Combien de milles as-tu parcourus depuis la mise à l’eau du bateau ?
Je suis à tout juste 7 000 milles, ce n’est pas énorme, mais ça fait quasiment deux transats, ce n’est pas non plus ridicule. Après, j’aurais bien voulu naviguer plus longtemps dans du vent soutenu ; au mieux, j’ai fait des phases de 24-48 heures, j’ai bien conscience que j’ai une connaissance du bateau à l’instant T qui n’est pas aussi aboutie que certains de mes concurrents. Pendant le Vendée Globe, je vais continuer à le découvrir, à chercher, mais ça ne m’inquiète pas plus que ça.
Tu as fait deux saisons en Multi50, cette expérience t’est-elle utile en vue du Vendée Globe ?
Oui, elle me sert dans la gestion de la vitesse, parce qu’on est sur des performances assez similaires à celles des Multi50. Ça s’apprend de naviguer à haute vitesse et d’aller à la bannette quand le bateau est lancé à 22-25 nœuds. Il faut une accoutumance à ça, au bruit. C’est un vrai plus qui, quelque part, pallie mon manque de navigation. Je ne me suis pas senti déphasé ou débordé par L’Occitane, je pense que si je n’avais pas eu cette case Multi50, cela aurait été plus compliqué.
Si tu devais définir les principales qualités de ton bateau ?
La première, liée à la carène typée scow, c’est qu’il a une certaine fluidité. Les efforts sont engagés, mais il passe bien dans la mer, il est assez facile d’une manière générale, je pense que je laisse moins d’énergie que d’autres. Il y a aussi l’ergonomie qui a été bien pensée, c’est un bateau qui a été dessiné par un marin [Sam Manuard est également coureur, NDLR] pour un marin, ça change beaucoup de choses. Et j’ai des foils qui sont très tolérants, ça veut dire que dans de la mer avec des variations de hauteur de vol, ils ne décrochent pas dès qu’il y a des vagues ou des changements d’incidence ou de hauteur. Ce qui amène des vitesses moyennes assez constantes, un confort de vol et de réglages, donc de vie à bord.
Quelques-uns de tes concurrents parlent justement de l’inconfort de la vie à bord, avec des chocs violents, ce n’est pas ton cas ?
Quand je lis les récits de mes concurrents, je me dis que faire le Vendée comme ça, il faut être costaud, ça doit être dur à tenir, la vie à bord a l’air tendue pour eux à partir d’une certaine vitesse. Moi, je ne me reconnais pas forcément là-dedans, je ne vis pas du tout la même chose. L’Occitane est un bateau beaucoup plus agréable à vivre, je pense que la différence peut être énorme sur la durée. Maintenant, comme je te le disais, je n’ai pas navigué pendant des jours et des jours à 25 nœuds, j’ai dû faire 48 heures à 22 nœuds de moyenne, donc il reste une part d’inconnue.
plus du tout, il n’y a que de l’excitation”
Certains disent justement que dans un an, une fois fiabilisé, L’Occitane sera le meilleur bateau de la flotte, es-tu d’accord ?
Je ne sais pas si ce sera le meilleur, mais je suis assez convaincu que, quel que soit mon résultat sur le Vendée Globe, il n’y aura pas de retour en arrière et que les prochains bateaux en Imoca seront des scows.
Quelles sont les allures privilégiées du bateau et ses faiblesses ?
C’est un bateau typé pour le portant, mais on a vu sur le Défi Azimut qu’il était aussi très rapide au reaching, ce qui était plutôt une bonne surprise et encourageant pour toute la première partie du parcours du Vendée Globe. Après, dans le petit temps au près, il marche moins bien, mais du près serré, on n’en fait quasiment pas, ça ne représente presque rien sur le parcours. Sa faiblesse principale finalement, c’est son manque de fiabilité. On sait que sur 70 jours, l’usure matérielle va être un élément prépondérant, la gestion du bateau sera fondamentale et le manque de navigation peut forcément être préjudiciable.
L’entame s’annonce très intense, avec des favoris qui vont sans doute attaquer d’entrée, quelle va être ta stratégie ? Vas-tu être tenté de suivre le rythme ou d’être plutôt prudent ?
Joker ! J’ai bien sûr mon idée de la façon dont je vais naviguer, mais pour l’instant, je n’irai pas sur ce terrain… Ce qui est sûr, c’est que les bateaux neufs sont des purs-sangs qui ne demandent qu’à accélérer tout le temps, il faut donc savoir leur tenir la bride et lever le pied de temps en temps. On sait très bien que dans certaines conditions, tu ne peux pas accélérer, parce que sinon, tu casses tout. Maintenant, la première partie du parcours est propice à aller vite, normalement, il n’y a pas trop de mer, les vents sont dans le bon sens, il y a quatre ans, cela avait été très vite.
Ressens-tu de l’appréhension à l’idée de t’élancer sur ton premier tour du monde ?
J’ai eu de l’appréhension, mais aujourd’hui plus du tout, il n’y a que de l’excitation. J’ai peu navigué au final et j’ai une envie folle de me retrouver seul sur le bateau en course. J’aime plutôt mon état d’esprit et ma manière d’aborder le challenge. Je le dois beaucoup aux gens qui m’entourent. Si j’ai cette sérénité, c’est parce que le bateau est prêt, alors que ce n’était pas gagné, le challenge était quand même énorme de le mettre au point en si peu de temps.
Avant de partir, sais-tu déjà de quoi la suite sera faite pour toi ?
J’ai bien sûr envie de continuer à développer ce bateau, on n’en est qu’au tout début et j’aimerais aller me bagarrer sur le Rhum, mais on discutera de la suite après le Vendée Globe, chaque chose en son temps.
Photo : Pierre Bouras/L’Occitane