Pascal Bidégorry en navigation en Imoca

Pascal Bidégorry : “Que je sois skipper ou non, ça ne va pas changer ma vie”

Après avoir couru la troisième étape du Pro Sailing Tour sur Viabilis avec Pierre Quiroga, Pascal Bidégorry enchaîne cette semaine avec des entraînements avec Tom Laperche sur SVR Lazartigue, en attendant la mise à l’eau fin juin de Macif, le nouvel Imoca de Charlie Dalin, qu’il accompagnera cette saison, notamment sur la Transat Jacques Vabre. Tip & Shaft s’est entretenu mercredi avec le Basque.

Tu sors tout juste du Pro Sailing Tour, as-tu apprécié l’expérience ?
Carrément ! J’ai bien aimé le format à trois sur une semaine de mer, tu es à bloc tout le temps, et j’ai trouvé les bateaux intéressants. Déjà, ils sont simples à mettre en œuvre, ensuite, j’ai été assez bluffé par les vitesses au près, on est souvent à 18-19 nœuds. Et, au reaching, tu peux monter jusqu’à 36 nœuds, ça commence à aller vite pour un petit bateau de 15 mètres. En plus, je trouve qu’on a vraiment bien navigué, c’est dommage d’avoir pété ce hook de GV [qui a contraint Viabilis à faire escale à Vigo, NDLR], parce qu’on était en train de leur mettre une bonne cacahuète au cap Finisterre. J’ai un peu de regret pour Pierre qui aurait presque pu gagner le Pro Sailing Tour, mais j’ai vraiment apprécié. Si on me rappelle, je reviendrai avec plaisir !

► Tu as aussi accompagné en avril Yannick Bestaven et son équipe sur son Imoca Maître CoQ, on a l’impression que dès qu’il faut mettre un bateau au point, on appelle Pascal Bidégorry, c’est devenu ta marque de fabrique ?
C’est sûr que si on regarde les deux-trois dernières années, j’ai dû faire quatre-cinq Imoca neufs, je ne suis pas loin de battre les records. Mais ça s’est fait comme ça, ce n’était pas un souhait de ma part. Si cet hiver, je n’avais pas eu des complications avec la maladie de mon papa qui a pris des proportions compliquées depuis l’été dernier, ça aurait été différent. Mais à un moment donné, la question ne se pose même plus, tu ne peux pas te barrer, donc il a fallu que je dise à Kevin (Escoffier) après la Route du Rhum que je ne pourrais pas faire The Ocean Race avec lui. D’autant que cette course, quand tu t’y engages, tu y vas à fond, le côté « je viens faire juste une étape » ne me plaît pas. Ce qui n’empêche qu’on n’a pas arrêté de me proposer de faire des étapes, encore ce matin ! Mais mon fil rouge ces derniers mois, c’est quand même de revenir souvent à Bayonne pour gérer la crise et ne pas laisser ma mère toute seule. Maintenant, j’ai accepté quelques propositions, car à un moment donné, je deviens un peu fou si je ne fais rien. Et j’ai quand même été début janvier à Alicante pour installer le jeu de voiles neuf.

► Tu regardes forcément ce qui se passe sur The Ocean Race, quel est ton sentiment sur la course ?
On a d’abord eu un bateau injouable qui dominait tout (Holcim-PRB) alors qu’à l’inverse, pour 11th Hour à la sortie du Sud, c’était la bérézina. Et finalement, le rapport de force s’est inversé. Kevin n’a pas eu de chance en prenant le mât sur la gueule, mais 11th Hour a aussi fait du bon boulot en se remettant dans le match. Maintenant qu’ils ont un point de retard, ça va être intéressant de voir la capacité d’Holcim-PRB à rebondir, il faut que Kevin frappe un coup sur la prochaine étape, sinon, ça va être chaud, d’autant qu’en cas d’égalité, il est derrière au classement des in-port, donc il n’a pas tellement le choix.

 

“Avec Charlie, c’est une forme de continuité”

 

► Le record des 24 heures a plusieurs fois été battu, est-ce une surprise pour toi ?
Eclater le record de Comanche en monocoque avec 640 milles en 24 heures, c’est impressionnant, mais qu’ils le fassent sur cette étape, je ne suis pas forcément surpris. L’Atlantique, si tu as une bonne dépression et le Gulf Stream dans les fesses avec une mer qui est un boulevard, tu peux aller super vite. Le problème des Imoca, c’est que ça devient compliqué dès qu’il y a trois vaguelettes. Maintenant, on a quand même vu que les carènes permettent de mieux passer dans la mer avec un peu plus de « rocker ». Je reconnais que la première fois que j’ai vu Malizia au ponton, je ne me suis pas dit que ça allait être un avion de chasse. Force est de constater qu’entre ses foils en C qu’il a récupérés de Sam (Davies) et apportent de la stabilité à haute vitesse au portant dans de la mer défoncée, et sa carène, on voit que ça marche, c’est plus difficile pour les carènes tendues comme celle de Kevin. Maintenant, il y a un juste milieu à trouver, les Imoca sont des bateaux de compromis. Si ton bateau n’avance pas pour descendre et monter l’Atlantique, ça va aussi être compliqué de gagner le Vendée Globe.

► Tu vas naviguer cette saison sur Macif, avec Charlie Dalin, pourquoi avoir accepté sa proposition ?
Quand je suis rentré d’Alicante en janvier, mon téléphone a dû sonner dix fois pour me proposer de faire la saison et la Jacques Vabre, j’ai halluciné ! Charlie m’a aussi appelé, je lui ai dit : “Pourquoi tu m’appelles ? Il y a plein de mecs jeunes, beaux et forts, qu’est-ce que tu vas te casser les c… avec Bidégorry ?” Mais au final, c’était une forme de continuité du travail que j’ai fait en Imoca chez MerConcept depuis deux-trois ans, notamment avec Charlie qui, quand mon projet avec l’Ultim de François (ex Macif) s’était arrêté, m’avait téléphoné pour me proposer de venir bosser avec lui. On avait fait du bon boulot jusqu’au Vendée. En plus, j’ai mes marques chez MerConcept, je bosse avec eux depuis 2015, je connais un peu tout le monde, c’est agréable. Maintenant, ça va être chaud pour nous en termes de timing cette saison.

► Vous vous entendez bien avec Charlie ?
Au début, je ne le connaissais pas du tout, je le trouvais réservé, je me demandais si c’était une forme de timidité, voire de prétention, mais en fait, pas du tout. C’est un mec super simple, qui gère son équipe avec beaucoup d’empathie et de respect. Il ne se prend pas la tête, les choses se font naturellement, on est tous là pour faire avancer le projet. Et sur l’eau, c’est un « kingos » ! En termes de stratégie et de gestion du bateau, il sait ce qu’il fait, il est hyper clairvoyant. Si on peut travailler ensemble jusqu’au départ du Vendée, on le fera.

 

“J’aimerais bien gagner
le Trophée Jules Verne”

 

► Tu avais toi-même un propre projet de Vendée Globe ?
Oui, j’avais dans l’idée de récupérer le troisième bateau de Black Pepper, celui qu’a finalement acheté Phil Sharp. J’avais bien avancé, mais c’est devenu très compliqué avec les gens qui devaient me filer des sous, ça sentait le plan foireux, donc à un moment, il a fallu être réaliste et j’ai tout arrêté. J’ai été un peu déçu parce que j’avais mis beaucoup d’énergie.

► Tu vas aussi continuer à travailler avec l’équipe SVR Lazartigue aux côtés de Tom Laperche, que penses-tu de lui ?
C’est un champion ! Le mec, il a 25 ans, il est bon sur l’eau, brillant, intelligent, il a du recul, une bonne analyse de tout, il est posé, pas dans l’excès… A 55 balais, je suis plus fou dans ma tête que lui ! Il n’y en a pas beaucoup des gens comme lui, il est un peu de la même trempe que François (Gabart).

► Il disputera début 2024 l’Arkea Ultim Challenge, aurais-tu aimé faire cette course ?
Oui, et pour ne rien te cacher, quand François m’avait proposé de faire The Transat sur l’ancien Macifj’avais trouvé un partenaire pour récupérer le bateau derrière avec un programme sportif jusqu’à la fin de ce tour du monde. Je m’étais dit que ce serait mon dernier truc, qui allait me calmer pour de bon et me permettre de débrancher à 56 ans, mais ça ne s’est pas fait à cause du Covid, c’est la vie. Mais honnêtement, je ne me prends plus trop la tête avec tout ça, mes histoires perso m’ont un peu calmé sur mes velléités de naviguer 365 jours par an sur les plus beaux bateaux. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est de prendre du plaisir sur des projets intéressants sportivement et techniquement, j’adore faire évoluer les bateaux, optimiser leurs points forts. Que je sois skipper ou non, ça ne va pas changer ma vie. Le fait d’être avec MerConcept me permet de naviguer sur ce qu’il y a de plus sympa au monde, un Ultim, et sur le dernier Imoca qui va être mis à l’eau, franchement, je ne suis pas à plaindre. Et il y a un objectif équipage derrière dans lequel j’ai vraiment envie de m’inscrire parce que je n’ai jamais gagné le Trophée Jules Verne et j’aimerais bien que ça arrive ! J’ai mis beaucoup d’énergie à une époque là-dessus [en tant que skipper de Banque Populaire V, NDLR], j’y ai laissé des plumes, et sportivement, ça m’a laissé un goût d’inachevé. Quand j’y pense, j’ai la même insouciance et la même envie que quand j’avais 20 ans, ça veut tout dire !

 

Pour tout savoir sur l’histoire de Pascal Bidégorry, Tip & Shaft vous propose d’écouter ou de réécouter le podcast Into The Wind qui lui est consacré, diffusé en décembre 2019.

 

Photo :Amory Ross – 11th Hour Racing

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