Les Imoca sur le Défi Azimut 2020

Vendée Globe : comment sont assurés les bateaux ?

Lors du dernier Défi Azimut, deux bateaux, Newrest-Art & Fenêtres (Fabrice Amedeo) et Bureau Vallée, (Louis Burton) n’ont pu prendre le départ, à cause d’un problème lié à la reconduction de leur contrat d’assurance. L’occasion pour Tip & Shaft, qui a questionné la plupart des teams, de s’intéresser à la manière dont les Imoca du Vendée Globe sont assurés.

Si les 33 marins qui prendront le départ le 8 novembre du neuvième Vendée Globe sont tous tenus d’avoir une responsabilité civile qui couvre les éventuels dommages causés aux tiers, ils ne sont pas obligés d’assurer leur bateau. Sur les 26 teams qui ont répondu aux sollicitations de Tip & Shaftseuls trois n’ont pas fait appel à un assureur : L’Occitane (Armel Tripon), PRB (Kevin Escoffier) et Campagne de France (Miranda Merron).

Pour des raisons toutes liées aux montants des primes d’assurances et des franchises : “Ça coute trop cher et le bateau a aujourd’hui dix ans, il est donc amorti “, répond-on chez PRB, tandis que Halvard Mabire, team manager de Campagne de France, explique : Les solutions qui nous étaient proposées n’étaient pas acceptables : nous avons un bateau dont la valeur assurée est de 400 000 euros et ça nous coûtait 50 000 euros de prime pour une franchise de 150 000 euros, y compris sur la perte totale, ce qui n’existait pas avant.”

Pour Michel de Franssu, team manager de L’Occitane, l’un des huit nouveaux Imoca conçus pour ce Vendée Globe, la question n’est pas définitivement tranchée : “On attend une nouvelle proposition qui, d’après ce que j’ai compris, pourrait être revue à la baisse si on équipait le bateau d’Oscar [système de détection des objets flottants non identifiés, voir notre article]“. Mais la tendance est à ne pas assurer le 60 pieds d’Armel Tripon, quand bien même sa valeur est estimée à plus de 5 millions d’euros.

“Aujourd’hui, la prime d’assurance s’élève à 10% de la valeur du bateau et la franchise est de l’ordre de 500 000 euros, sachant que toute une partie du bateau n’est pas couverte : les voiles, le mât, les appendices, l’électronique… Il n’y a qu’en cas de perte totale qu’il est intéressant d’être assuré, résume Michel de Franssu. Or, quand on regarde les statistiques de perte totale sur les dernières éditions du Vendée Globe, la probabilité est quand même assez faible. Donc au final, la couverture est vraiment médiocre au regard du prix.” 

DES FRANCHISES TRÈS ÉLEVÉES

En dehors de ces trois cas, tous les autres teams que Tip & Shaft a interrogés ont choisi d’assurer leur 60 pieds pour le Vendée Globe. La grande majorité passe par un courtier qui conseille la classe Imoca, le Belge Tolrip, qui, lui-même, fait l’intermédiaire avec un autre broker, l’Allemand Pantaenius Insurance Broker – filiale de Pantaenius Group (100 000 bateaux assurés à travers le monde). Lars Troeppner, en charge du dossier chez l’assureur, indique avoir dans son portefeuilles 85% de la flotte du Vendée Globe. A charge pour ce dernier de réunir un pool d’assureurs – et non un assureur unique – qui se répartissent les risques et se partagent les primes.

Des primes annuelles calculées au pro rata de la valeur déclarée du bateau, qui peuvent aller de 5-6% pour des Imoca déjà bien amortis et réputés robustes à 10-12% pour les foilers de dernière génération. Ce qui fait dire à un skipper : “La prime d’assurance des bateaux neufs dépasse aujourd’hui 500 000 euros, soit l’équivalent du budget total d’un petit team.” Ce montant évolue en outre d’une année sur l’autre en fonction du risque, rendant compliquées les projections budgétaires : “Quand tu démarres un cycle de quatre ans, tu ne connais pas à l’avance ce qu’on te demandera l’année du Vendée Globe, tu as toujours cette part d’incertitude sur les montants des primes et des franchises”, confirme Louis Burton. Des franchises, qui varient pour la plupart des bateaux, entre 150 000 à 500 000 euros“Vu les niveaux de franchise, tu n’assures finalement que la perte totale. Pour un démâtage par exemple, le coût est sous le niveau de la franchise sur un bateau neuf”, constate Greg Evrard, team manager de Corum L’Epargne (Nicolas Troussel).

Stéphane Le Diraison, victime d’un démâtage sur le Vendée Globe 2016, est bien placé pour le savoir : J’ai payé beaucoup pour ne rien avoir. Ce qui est très gênant d’un point de vue philosophique, c’est que si j’avais fait appel à des secours et quitté le bateau – sachant que ma vie était potentiellement en danger, avec un mât sur le pont qui coupait la coque et un vent de force 9 qui me poussait vers l’Antarctique -, j’aurais été remboursé à 100% pour perte totale. Alors qu’en faisant tout pour ramener le bateau au port, peut-être au péril de ma vie, j’ai basculé dans la case où je n’avais droit à rien.”

UN ACTEUR EN SITUATION DE QUASI MONOPOLE

Pour beaucoup, le fait qu’il n’existe aujourd’hui quasiment qu’un acteur sur ce marché des bateaux du Vendée Globe (et d’autres classes hauturières comme les Ultimes, les Multi50 et les Class40) ne permet pas de juguler l’inflation des coûts, particulièrement ceux des franchises. “Il y a quelques années, il y avait des Russes, Pantaenius et Hiscox, des Anglais. Les Russes se sont retirés les premiers, et, depuis deux ans, Hiscox a dû arrêter à cause des incertitudes liées au Brexit. Du coup, Pantaenius se retrouve tout seul, ce n’est pas hyper sain, confirme Louis Burton. Qui étudie cependant une proposition de Hiscox, ce dernier semblant vouloir revenir dans le jeu. Maxime Sorel a choisi cette option, avec une prime deux fois plus chère, “mais une franchise cinq fois moins élevée que Pantaneius“.

“Cette absence de concurrence fait que primes et franchises s’envolent, tandis que les garanties diminuent. Aujourd’hui, l’assurance est un des postes les plus importants sur une année d’exploitation pour un team, presque équivalent à la masse salariale, constate Xavier Bourhis, qui assure une partie de la flotte de Figaro. Le problème, c’est que les autres acteurs du monde de l’assurance ne veulent pas venir, certains s’y sont essayés, pour peu qu’ils aient pris une perte totale, ça les a secoués pour un moment. Le monde l’assurance entre de plus en plus dans des logiques financières : parfois, il vaut mieux ne pas faire que prendre un risque.”

Chez Pantaenius, Lars Toeppner reconnaît que “les primes et les franchises ont augmenté” mais estime que c’est réducteur de l’expliquer par l’absence de concurrence : “La raison principale, c’est qu’on est dans un secteur à haut risque sur le marché des bateaux et qu’il n’y a pas assez de bateaux pour que les assureurs aient un équilibre homogène des risques. Le résultat est qu’il n’y a malheureusement pas beaucoup d’assureurs prêts à souscrire ce risque.”

Les assureurs se montrent en effet assez frileux pour entrer sur ce marché de niche jugé risqué, surtout quand des chavirages font la une des journaux télévisés. Le vrai coup dur a été le sinistre de Banque Populaire [assuré par Pantaenius, NDLR] sur la Route du Rhum 2018, on paie encore pour ça”, lâche un skipper. Un sentiment partagé par d’autres, mais pas par Antoine Mermod, président de la classe Imoca : Ce n’est rien par rapport à l’ouragan à Saint-Barth qui détruit 150 bateaux valant plusieurs millions d’euros couverts par le même assureur, il faut plus raisonner par rapport à l’écosystème du bateau à voile en général.”

Ce que confirme Lars Toeppner : “Les assureurs ne tiennent pas seulement compte des taux de pertes des différentes classes de voiliers, mais aussi de l’ensemble du secteur des sports nautiques. Et, dans ce secteur, les chiffres des pertes totales se dégradent depuis des années avec une augmentation importante, dues aux incendies et aux dommages causés par les tempêtes dans les ports de plaisance, par les ouragans aux États-Unis et aux Caraïbes…” 

RASSURER LES ASSUREURS

Reste que tous le reconnaissent, sans Pantaenius, il serait quasi impossible aujourd’hui d’assurer les bateaux, donc de financer l’achat d’une bonne partie d’entre eux, les banques conditionnant les crédits à un contrat d’assurance en bonne et due forme. Au sein de la classe Imoca, on cherche donc des solutions pour rassurer les assureurs : “On fait en sorte que les mâts monotypes aient des coefficients de sécurité largement supérieurs, on pousse les teams à faire des tests sur les coques et les quilles tous les ans, on fait venir des experts au Brésil après la Transat Jacques Vabre pour vérifier que les bateaux peuvent faire le convoyage retour… On veut montrer aux assureurs que tout est fait pour éviter au maximum les sinistres, poursuit Antoine Mermod.

Certains jugent qu’il faut surtout limiter la surenchère technologique et donc financière, qui pèse finalement sur toute la flotte. “Je crois que la totalité de la flotte assurée est passée de 25 à 40 millions d’euros d’un Vendée Globe à l’autre, le système est un peu arrivé en butéeil faut peut-être se calmer sur les nouveaux bateaux, parce que les assureurs ne suivent plus, surtout dans le contexte économique actuel”, estime un skipper. Une analyse partagée par Damien Seguin : “On a des bateaux trop chers, donc on n’arrive pas à couvrir l’intégralité de la flotte en termes de risques. Nous sommes aussi victimes de nos propres choix, il faut avoir l’honnêteté de dire que la responsabilité n’est pas que chez les assureurs.”

Ce dont convient Halvard Mabire : “On a pris des risques technologiques et comme les assurances payaient, on a continué. Aujourd’hui, on en paie un peu les pots cassés, alors qu’on est dans un domaine du proto, où il faut aussi savoir assumer ses risques.” Ce qui fait dire en conclusion à un expert du monde de l’assurance : “Mon sentiment, c’est que ces bateaux ne devraient pas être assurés. Ce sont des bateaux de compétition, or le principe de la compétition, c’est de toujours aller chercher la limite.”

Photo : Anne Beaugé/Défi Azimut

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