Halvard Mabire et Violette Dorange à l'arrivée du Vendée Globe

Halvard Mabire : “J’irais presque jusqu’à militer pour deux classes sur le Vendée Globe”

Manager du projet Campagne de France de sa compagne Miranda Merron sur le dernier Vendée Globe (22e place) , Halvard Mabire, 64 ans, est par ailleurs toujours président de la Class40. Tip & Shaft a échangé avec lui pendant une heure.

Avec Miranda, quel bilan tirez-vous de son Vendée Globe ?
Le bilan est très positif, nous avons réussi à mener le projet jusqu’au bout malgré des moyens plus que faibles. Les objectifs étaient déjà d’être au départ, ensuite de boucler le tour du monde ; ils ont été remplis et, sur le plan médiatique, je pense que nous avons fait le plein, les partenaires sont très contents. La preuve : l’histoire s’arrête normalement après ce Vendée Globe, mais ils se posent la question de repartir ou non.

Avez-vous envie de remettre ça ?
Pour l’instant, on est dans l’expectative. Miranda aimerait bien repartir, pas forcément avec des prétentions de changer de bateau [Campagne de France est pour l’instant à vendre, 450 000 euros]. De toute façon, je ne pense pas qu’elle soit attirée par un foiler de dernière génération, ce sont des bateaux extrêmement exigeants pour les skippers et qui demandent d’avoir une équipe très solide autour de soi. Il n’y a rien de pire que de viser plus haut que ce qu’on peut faire. En revanche ce qui est sûr, c’est qu’on ne le refera jamais dans ces conditions, c’était vraiment trop dur. Mener un tel projet à deux, même modeste [moins d’un million d’euros sur deux ans, NDLR], c’est mission impossible. Je termine plus que dans le rouge, Miranda heureuse, mais aussi dans le rouge. La façon dont on a mené le projet l’a d’ailleurs aussi handicapée sportivement, parce que la pression de ramener le bateau était très forte, ça l’a obligée à naviguer souvent de façon conservatrice.

Quel bilan fais-tu de la course d’une façon plus globale ?
J’ai bien aimé les relations avec l’organisation, il y a un vrai respect des coureurs, on sent que le Vendée Globe n’est pas un truc commercial. J’ai aussi apprécié l’ambiance de l’Imoca, les liens se sont beaucoup resserrés entre nous avec le premier confinement, je trouve qu’Antoine Mermod est un très bon président, il traite tout le monde sur un pied d’égalité.

La notion de non-assistance commence à être discutable

Et sportivement, as-tu apprécié cette course serrée jusqu’au bout ?
Pour une fois, la météo l’a joué à l’envers, il faut donc rester mesuré sur les enseignements. Il y a eu beaucoup plus d’opportunités de regroupement que de passages à niveau, mais le scénario aurait pu être complètement opposé et beaucoup moins drôle si des bateaux avaient réussi à s’échapper loin devant. On va dire que les dieux ont été avec le Vendée Globe, ils nous ont récompensés de nous être battus pour qu’il parte. Sinon, je retiens le faible taux d’abandon que j’explique par deux raisons : un niveau de préparation qui est vraiment monté et l’évolution des moyens de communication. Si on avait eu la BLU comme lors des premières éditions, on n’aurait pas eu le même nombre de personnes à l’arrivée, parce que la facilité de communication, notamment via WhatsApp, apporte un soutien technique et psychologique très important. La notion de non-assistance commence d’ailleurs à être discutable. L’avantage, c’est qu’il y a plus de monde à l’arrivée ; l’inconvénient, c’est qu’on s’éloigne peut-être de l’esprit d’origine, mais c’est toute la société qui va dans ce sens.

La jauge du futur Vendée Globe va limiter certaines évolutions, est-ce une bonne chose ?
Je ne sais pas. Je ne rejoins pas directement les propos de Jean Le Cam, parce que je ne veux pas cracher dans la soupe et critiquer les gens qui investissent dans la technologie. Il n’empêche qu’on peut se poser la question de savoir s’il n’y a pas deux chemins qui sont en train de se séparer, d’un côté celui de l’Imoca qui pousse vers la recherche de la performance, de l’autre le Vendée Globe qui reste une course très spécifique. Pour ce qui est de la nouvelle jauge, je pense que les limitations ne diminueront absolument pas les coûts, parce que plus on met de contraintes, plus ça nécessite de recherches pour rentrer dans les clous. Ensuite, je me demande si on ne s’arrête pas au milieu du gué, dans le sens où on en est encore au début des foils, on apprend à faire voler les bateaux, est-ce le bon moment pour mettre des limites ? C’est à la fois trop tard et trop tôt.

L’argument est aussi de garder une flotte homogène…
Ça me semble un vœu pieux, c’est en 2012 qu’il fallait y penser. A l’époque, on avait des bateaux assez aboutis comme l’actuel Banque Populaire, est-ce qu’il ne fallait pas essayer de pousser la flotte dans cette voie plutôt que d’autoriser les foils ? Dès qu’on a introduit les foils, le ver était dans le fruit. Après, je ne dis pas que ce n’est pas bien, mais on sait que les foils marchent proportionnellement aux moyens que tu vas mettre pour les développer. Aujourd’hui, j’irais presque jusqu’à militer pour qu’il y ait deux classes sur le Vendée Globe : d’un côté des Imoca, de l’autre des bateaux simples, adaptés par exemple aux femmes, aux très jeunes et aux vieux. Les nouveaux Imoca resserrent la clientèle des prétendants. Avant, les premiers 60 pieds Open étaient des bateaux maniables pour des gens de 20 à 70 ans, aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Le truc qui me plairait vraiment,
c’est un Vendée globe sur un bateau adapté

Ces débats, les avez-vous aussi dans la Class40 ?
Oui, bien sûr, il a fallu résister aux chants des sirènes de mettre des foils sur les bateaux, mais aujourd’hui, ce débat, on l’a de moins en moins. D’autant qu’on a prouvé qu’on pouvait faire énormément évoluer les bateaux par les formes de carènes. Ça coûte certes plus cher, mais pas autant qu’une paire de foils. Et le delta entre les nouveaux bateaux et les anciens n’est pas aussi important que dans la classe Imoca.

Justement, depuis la Route du Rhum 2018, le nombre de nouveaux bateaux a explosé (voir notre article) ; les scows n’ont-ils pas un peu tué le jeu dans le sens où, pour viser la victoire, il faut forcément avoir un nez rond ?
Non, je ne pense pas que le nombre de bateaux neufs ne soit lié qu’à ça, c’est aussi parce que la Class40 attire de plus en plus de nouveaux entrants. Le Vendée Globe a été un super moteur pour la course au large, l’intérêt a été croissant pour le public, mais aussi pour les sponsors. Comme ce ne sont pas tous des banques et des assurances qui peuvent mettre des millions d’euros, la Class40 est logique pour des sponsors qui veulent entrer dans la course au large à un coût moindre. La preuve : la plupart de ces bateaux neufs sont pour de nouveaux venus.

Beaucoup de projets se montent dans l’optique de la Route du Rhum : est-il vrai que vous avez demandé 70 places pour la Class40 ? 
Oui, il nous en faut 70, et même à 70, on sera sans doute obligés de faire une sélection. Je comprends parfaitement que la Route du Rhum soit limitée à 120-130 bateaux, mais je regrette qu’il n’y ait pas de vision à long terme sur cette épreuve. Aujourd’hui, on peut se poser des questions sur l’avenir de la course avec la présence des Ultimes. Je n’ai rien contre ces bateaux, mais voir un événement aussi important se bâcher en 5-6 jours, c’est catastrophique. Le Vendée Globe a mis en évidence que le gros atout de la course au large est la durée, en une semaine, tu n’as pas le temps de raconter une histoire. Et quand j’entends parler de la venue des Figaro, je pense que c’est du grand n’importe quoi, ils vont tuer la Solitaire en faisant ça et rajouter de la confusion à la Route du Rhum qui est déjà assez compliquée comme ça. Jean Maurel [ancien directeur de course, décédé en 2012] disait qu’on pourrait pérenniser la course en se limitant aux Class40 et Multi50. L’Imoca et la classe Ultim sont des classes tellement fortes qu’elles n’ont pas besoin de la Route du Rhum.

Finissons par toi : as-tu encore envie de naviguer et si oui, sur quel support ?
Oui, j’ai extrêmement envie de naviguer. Le truc qui me plairait vraiment, c’est un Vendée globe sur un bateau adapté, simple, léger, à ma main. J’aimerais le faire une fois, mais je me demande si ce n’est pas déjà un peu trop tard. J’ai loupé le coche quand j’avais un bateau qui avait la capacité de le gagner pour le Vendée Globe 1996, je l’ai perdu pendant la Route du Rhum (1994), c’est un énorme regret. Après c’est peut-être plus du rêve que de l’envie. Et déjà il faut que j’atterrisse de celui-là, qui m’a épuisé !

Photo : Jean-Marie Liot / Alea

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